Joël Schmidt – Réforme – 12 avril 2007:
« Il n’est pas une page de ce roman aventureux et aventurier qui ne nous poigne. (…) Avec une richesse de recréation tout à fait exceptionnelle dans la densité et l’intensité des propos, des évocations et des portraits, avec un imaginaire visionnaire déployé pour faire ressortir les effrois de l’exotisme, le tragique de l‘exil, le dramatique de la confrontation entre les natifs et ces Anglais perdus au bout de l’univers, Agnès Clancier réussit à transformer son roman de la naissance de l’Australie, par la perfection de ses véritables tableaux, en une sorte de nouvelle genèse d’un monde et d’un continent en son commencement, et où Dieu, pourtant souvent invoqué par les colons anglicans, n’aurait point encore porté son regard. C’est dans cette absence que réside le mystère captivant de ce roman, c’est dans ce panorama impitoyable, où des créatures humaines, revenues à un état "sauvage", se cherchent et commencent à s’organiser dans les tourments les plus quotidiens, que ressort l’idée biblique que la création souffre les douleurs de l’enfantement" : roman d’une maîtrise inouïe, à la transcendance cachée mais réelle.
« Pour Port Jackson, Agnès Clancier s’est glissée dans la peau d’Elizabeth Murray, née le 26 mai 1765 dans le comté du Devon, condamnée à vingt ans à… la relégation à vie, pour le vol d’un drap si doux sur sa joue que la tête lui en avait tourné. Ainsi débute la descente aux enfers d’Elizabeth Murray, "rebut de la société". (…) 252 jours de bateau, à fond de cale (…) . Premiers face à face avec les Natifs (…). Bien vite, les Aborigènes ne supporteront pas de voir leurs hôtes défricher l’espace et couper les arbres, actes fondateurs d’une société en quête de repères et d’une identité nouvelle. Pour Elizabeth Murray, fantôme d’un camp de femmes baptisé Sodome, la liberté reconquise peut prendre une dimension vertigineuse, en dépit de l’inconfort, de l’insécurité, de la famine et de la maladie. (…)
Fuir le camp, se porter plus loin vers d’autres autochtones pas encore souillés par les Blancs, apprendre leur langue, danser comme eux et avec eux l’histoire du monde, se fondre dans le paysage pour mieux "attendre l’embarcation qui me ramènera chez moi". Le hurlement est sourd. Voie(x) sans issue. Celles d’Agnès Clancier sont magnifiques. »
Chris Dussuchaud - Le Populaire du Centre – 6 avril 2007.
« Agnès Clancier a découvert l’Australie au cours d’un long séjour professionnel, dont le roman Port Jackson est en quelque sorte l’émanation historique et littéraire, parfaitement documentée, captivante et parfois poétique, en particulier lorsqu’il s’agit de décrire les paysages, comme celui de Botany Bay. Mais plutôt que lyrique, l’écriture est « au cordeau », précise, évocatrice, simple mais travaillée: « Un cliquetis lumineux comme la vie qui reprend. La musique de la vie. Aérienne. Piquante. » Un style qui accompagne admirablement la scène dionysiaque qui suit le débarquement, qui sera lavée par l’orage.
L’héroïne en est Elizabeth Murray (mais il y a d’autres figures de femmes), condamnée par le tribunal de Londres à la transportation au-delà des mers, à échéance de sa vie, dans cette colonie anglaise qui devint l’Australie. La fresque qui permet à Agnès Clancier d’entrer chez Gallimard – qui a aimé tout de suite le roman – est celle de la rencontre de deux peuples, européen et aborigène – ces Natifs qui semblent au départ indifférents à cette invasion en apparence respectueuse. Les colons manquent de tout, de nourriture, de soins, la romancière nous les montre autant souffrants que pauvrement conquérants : « en juillet, se succèdent des jours et des jours de gelées blanches le matin, suivies de fortespluies qui glacent nos os et propagent la fièvre. » Ce qui n’empêche pas le gouverneur de maintenir la discipline, les coups de fouets et de célébrer l’anniversaire de Sa Majesté.
Après nous avoir proposé l’itinéraire (dans tous les sens du terme) d’un homme dans Le Pèlerin de Manhattan, c’est une femme qu’elle nous propose d’accompagner, dans sa réclusion à ciel ouvert, partagée entre deux hommes (dont l’un qui songe à rapporter un jour des perroquets qui « seront comme des soleils sous le ciel enfumé de Londres »), oubliant « l’autre monde. Celui où l’on est libre. » Une femme habitée par « le désir de fuite » vers « là où les Blancs ne sont encore que des âmes perdues, des esprits revenus de chez les Ancêtres » pour les Natifs. Une femme qui les a si bien compris qu’elle dit : « Je me plierai à leurs coutumes. J’apprendrai leur langue (…) Je danserai avec eux l’histoire du monde. »
C’est Elizabeth Murray qui parle, et c’est aussi Agnès Clancier, qui nous entraîne « dans les paysages du récit qui coule. » Elle semble être partie sur les pistes de Bruce Chatwin, théoricien méditatif du nomadisme, celui dont elle semble être depuis longtemps une adepte.»
Laurent Bourdelas - RCF Limoges - Avril 2007